C'est à BRUXELLES que je me rends, suite
à la convocation tant attendue. Une brève interview avec un officier chargé de
la sélection me désignera pour les fonctions de F.M.A. (Fling Méchanic
Airframe), c'est-à-dire mécanicien cellule. Ayant fait une timide allusion au
métier de mon père, menuisier, avec qui j'avais appris quelques rudiments de
cette profession, cela éveilla chez l'examinateur, un intérêt pour le métier du
bois et proposa d'ajouter à l'appellation F.M.A. .... CARPENTER, ce qui en
anglais signifie MENUISIER. La visite médicale suivra rapidement : apte au
service. Je serai convoqué cette fois au MANOIR d'ANJOU à STOCKEL où je serai
équipé et recevrai les premières instructions élémentaires pour un militaire en
l'occurrence, la connaissance des grades et la lecture du KING'S REGULATION,
règlement de discipline anglais. Nous apprenons également les premières
évolutions du DRILL données dans la langue de SHAKESPEARE. Une permission nous
est délivrée afin de reporter nos effets civils chez nous. Nous formons
maintenant un petit détachement appelé FLIGHT où Flamands et Wallons
obtempèrent aux ordres donnés en anglais. Les plus réfractaires a la
compréhension des injonctions seront invariablement invités à la cuisine pour
les corvées. Nous ne serons autorisés à nous rendre en ville qu'après une
inspection minutieuse de notre tenue : boutons et badge de bonnet rutilants,
bottines cirées à la perfection. Dans un registre, au corps de garde, sont
inscrits les noms et heures de sortie et de rentrée (BOOK-IN , BOOK-OUT).En
attendant notre départ pour l'Angleterre, nous fréquentons les joyeusetés des
clubs réservés aux militaires où les consommations diverses sont à la portée
de notre bourse. Nous allons apprendre les nouvelles danses importées d'Outre-Atlantique
au SAINT SAUVEUR, patinoire reconvertie en dancing, le 21 DANCE CLUB où la
jeunesse féminine locale est seule autorisée à rentrer. Conscients de l'effet
que notre nouvelle tenue produit sur nos compatriotes, renforcé par la possession
de nos rations de cigarettes, chocolat, chewing-gum, mais nul n'étant prophète
en son pays, nous omettons de coudre nos BELGIUM sur notre tenue ce qui nous
fait prendre pour des Anglais plus recherchés par les danseuses, ce qui a aussi
l'avantage quand nous sommes contrôlés par des M.P. (MILITARY POLICE) belges
d'être des Anglais et quand ce sont des M.P. anglais, de répondre en français,
ce qui nous libère de nombreuses justifications. Chacun a son assimil qu'il
étudie consciencieusement en vue de notre séjour en Angleterre où là, par
ouï-dire, les Belges sont appréciés et où nous aurons intérêt à exhiber le
BELGIUM sur les manches de notre veste. Un matin, c'est le départ pour
BLANKENBERGE en camions. Nous sommes logés au CONTINENTAL PALACE, hôtel
réquisitionné et reconverti en camp de transit. Nous attendons plusieurs
jours avant d'embarquer au Port d'OSTENDE, la tempête en mer est violente ; finalement,
nous sommes transportés à CALAIS, nous logeons dans un des six camps de
transit, quatre étant réservés aux nombreux Polonais. C'est de ce port que nous
embarquons sur un bateau, LIBERTY, à destination de DOUVRES. On nous fait
revêtir les gilets de sauvetage car il y a risque par les bourrasques, des
mines ont pu être libérées de leurs amarres et errer dans les couloirs
déminés. Les rares passagers non atteints du mal de mer, c'est mon cas,
préfèrent rester sur le pont, transis de froid, que de descendre dans la cale
d'où montent des effluves nauséeux. Nous débarquons à DOUVRES et prenons le
train pour LONDRES. Nous avons le temps de lire une grande inscription sur le
quai : " TOUTE LIVRE STERLING QUITTANT L'ANGLETERRE EST UNE LIVRE PERDUE
". Nous nous en rappellerons quand nous quitterons ALBION. Tout ce qui
dépassera deux livres, quota autorisé, sera saisi.
Nous arrivons à VICTORIA STATION et traversons
la capitale en bus pour rejoindre LIVER-POOL STATION. Ce parcours nous fera
découvrir combien LONDRES a souffert des bombardements et particulièrement les
alentours de la Cathédrale Saint Paul, restée miraculeusement debout. Nous
arrivons à CAMBRIDGE d'où nous serons transportés en camion à BOTTISHAM, camp
construit de huttes NIELSEN, tubes semi-circulaires en tôles ondulées,
réparties sur un champ de course et à proximité d'une plaine d'aviation
réservée à l'école de pilotage élémentaire dotée d'avions TIGER MOTH, biplan
d'écolage. Ce RECEVING CENTER ou Centre d'instruction va nous conditionner aux
exercices du DRILL et